Au printemps 1944, les maquis locaux, en particulier ceux dirigés par Louis Pétri, surnommé Loulou ou commandant Tanguy, du mouvement Francs-tireurs et partisans français (FTPF), sont très actifs en Mayenne, en Normandie et en Ille-et-Vilaine.
Louis Pétri, originaire de Louvigné-du-Désert, est en contact étroit avec Claude de Baissac, un des meilleurs agents du Special Operations Executive (SOE) en France, chef du réseau « Denis Scientist » implanté en Mayenne et en lisière de la Normandie depuis février 1944. Cet officier britannique, né à l’île Maurice, parlant parfaitement le français, transmet à Londres les besoins en matériel militaire des maquis et les terrains de parachutage pour homologation, précisément ceux situés au nord de la Mayenne et à l’est de l’Ille-et-Vilaine. Il est assisté de sa soeur Lise de Baissac, également officier du S.O.E., dont le rôle sera déterminant.
L’un de ces terrains de parachutage agréé se trouve sur la commune de Drouges, à savoir une grande prairie, propriété d’Emmanuel Valais agriculteur au lieu-dit Launay, à proximité de la ferme de la Prée exploitée par Jules Bulourde. Cette Droppinq Zone (DZ) avait été définie au mois d’avril 1944 par Bernard Lesage, adjoint départemental du réseau « Libération-Nord » à Rennes, avec le concours de l’adjudant Pinot commandant la brigade de gendarmerie de La Guerche-de-Bretagne et de Jules Bulourde de Drouges.
Le 17 juillet à 13 heures, la BBC émet le message personnel : « Les enfants du village font leurs courses 5 fois », ce qui signifie qu’il y aura cinq avions pour ce parachutage tant attendu par les résistants concernés. La seconde diffusion de ce message à 17 heures confirme l’opération. Enfin, à 21 heures, la troisième annonce certifie que le parachutage aura bien lieu au cours de la nuit prochaine. Le comité de réception composé d’une quarantaine d’hommes, se regroupe, le plus discrètement possible à la ferme de la Prée avant de se mettre en place autour de la zone de largage.
Vers 1 heure du matin, heure anglaise, le ronronnement des quadrimoteurs Halifax attire l’attention des résistants tapis dans le bocage. Les cinq bombardiers des escadrilles spéciales 138 et 161 de la Royal Air Force, provenant de l’aérodrome de Tarrant Rushton au sud de l’Angleterre, arrivent par le nord, après 2 heures 30 de vol. Leurs pilotes exécutent la mission SOE « Scientist 117 ». Ils se guident sur la balise radio émettrice « Euréka » mise en place sur la DZ. Au sol, le capitaine Pineau dit « Pierre », équipé d’un émetteur-récepteur « S’Phone », entre en contact direct avec les aviateurs pour confirmer la réception. Un balisage lumineux est actionné : trois lampes rouges en ligne et une blanche à droite pour former un L. Les avions arrivent face au vent. Un signal lumineux codé en morse est émis vers les avions anglais.
Dans un premier temps, chaque appareil repère les signaux au sol et revient pour larguer le matériel. Un troisième passage est souvent nécessaire... Au cours de chaque largage, en attendant leur tour, les autres avions tournoient à plusieurs kilomètres à la ronde pour disperser le bruit des moteurs.
En cinquante minutes, à une altitude de 400 pieds (122 mètres), les Halifax se délestent de leurs 75 containers et de leurs 35 paquets, remplis d’armes individuelles et de munitions diverses. L’ensemble représente un poids total de 14 à 15 tonnes de matériel.
Les containers sont aussitôt transportés à l’Escart, un lieu-dit discret, où se trouvent une maison inhabitée et une ancienne carrière envahit par les broussailles. Ils sont vidés de leur contenu et jetés dans cette cavité. Les armes, les munitions sont stockées dans la masure. Dès le lendemain, le précieux matériel est livré aux divers groupes de résistants des secteurs sud-est de l’Ille-et-Vilaine et ouest de la Mayenne.
Plusieurs convois hippomobiles vont sillonner la campagne dans diverses directions.
Le 20 juillet en fin d’après-midi, trois attelages quittent l’Escart pour rejoindre la commune de Fontaine-Couverte en Mayenne. Sur leur chemin, en direction de la forêt de La Guerche, vers 22 heures, ils se retrouvent face à une patrouille allemande. Un des agriculteurs fonce droit devant et parvient à s’enfuir avec sa cargaison. Des coups de feu éclatent mais les deux autres conducteurs, Pierre Guinoiseau et François Boueste sont arrêtés et leur chargement est découvert. Toute la nuit, les Allemands fouilleront la campagne environnante à la recherche du courageux charretier mais en vain. Par contre, ils arrêtent quatre jeunes agriculteurs de Rannée, les frères Béasse soupçonnés de complicité.
Les interrogatoires musclés des deux convoyeurs permettent aux Allemands de localiser le dépôt de l’Escart rapidement vidé de ses armes. Le lendemain 21 juillet, ils se transportent à l’endroit indiqué gardé par trois maquisards d’origine russe, déserteurs de la Wehrmacht. Les soldats allemands ouvrent le feu dans leur direction ; l’un d’eux nommé Paul Koreff est abattu, Georges Courcier, résistant à « Libé-Nord » se trouvant à proximité de l’affrontement, réplique avec sa mitraillette Sten en direction des véhicules ennemis. Un soldat allemand est tué. Profitant du bocage, Georges Courcier échappe à ses poursuivants sous les tirs d’armes automatiques.
Le soir même, les six personnes arrêtées sont transférées au camp Margueritte à Rennes. Pierre Guinoiseau, ancien prisonnier de la guerre 1914-1918, y décèdera les jours suivants. François Boueste, de Drouges, est déporté et meurt au camp de Sandbostel en mai 1945. Les quatre frères Béasse réussissent à s’évader du train de déportés à Langeais (Indre-et-Loire) le 6 août 1944 et rentrent à la ferme familiale quelques semaines plus tard, sains et saufs.
Suite à cet accrochage, l’occupant, sans doute éprouvé par le bombardement aérien de la forêt de La Guerche le 16 juillet, n’exercera pas de représailles à l’encontre des habitants de Drouges.
Le 4 août 1944, les premières troupes américaines libèrent le secteur.
Daniel Jolys
Éancé, le 18 juin 2014